En 1907, une affaire en or se présenta à mon père. Une maison sur trois niveaux ayant en vente le fond commerce situé au rez-de-chaussée et 2 étages en location , le tout située » Galerie Charles III », tout près du Café de Paris et du Casino !
Avenue des Spélugues
L’immeuble appartenait à l’époque à la Banque Schmith, dont le propriétaire d’origine allemande, Monsieur Udé sera pour mémoire interné lors de la déclaration de la première guerre mondiale. Monsieur Estélon, son fondé de pouvoir, lui permettra la réalisation de cette transaction.
Mon père au mois d’octobre 1907 deviendra donc propriétaire du fond de commerce et locataire de cette demeure ou je naquis quelques années plus tard au mois de mai 1909 me permettant ainsi de grandir au sein des plus beaux bâtiments de la Principauté sereinement au sein de ma famille.
Mon père prendra en charge l’immeuble tout entier. La location des deux niveaux étant trop lourde, il sous louera le premier étage à un mont-de-piété géré par Madame Carence, une israélite.
A grands frais il aménagera son atelier pour l’optimisation de la lumière du jour en apportant des modifications sur le plafond ainsi que sur la façade dont les murs seront remplacés par des verrières.
Un laboratoire photothèque qui contiendra des milliers de négatifs en verre légués par ses prédécesseurs, verra ainsi le jour.
D’autre part un atelier de pose pourvu de plusieurs décors neutres ou simulant des forêts d’arbres fera parti de cet ensemble professionnel.
Fort de ces structures, mon père se plaisait à rappeler que « La lumière est bonne, pour autant que les clients ne prennent pas rendez-vous après 17 heures ! ».
Pour cette raison, plus tard, il sera ajouté une cabine vitrée fonctionnant au magnésium avec déclenchement synchronisé permettant de répondre à la qualité optimale que réclament les clichés et couvrir en toute circonstance toutes les périodes de la journée.
Du point de vue de la décoration, on y trouvait plusieurs beaux meubles de tous styles dont aujourd’hui encore, j’en garde au fond de moi un fier souvenir.
Au rez-de-chaussée, les clients sont reçus dans un salon d’attente luxueux qui fait office d’accueil. Tables et vitrines marquetées, consoles en bois dorées de style sont la pour cet effet. Déjà le salon était relié aux ateliers au moyen de téléphones entre les étages. Mon père, Georges, fit poser des tapis dans toutes les pièces sans oublier le passage dans les escaliers pour correspondre aux plus près aux critères luxurieux de l’époque.
Grâce à sa maitrise de grand professionnel il capta très rapidement la clientèle la plus huppée de la Principauté et devint suite à ses réalisations remarquées et remarquables le photographe officiel du Prince Albert Ier ainsi que de la Famille Princière. Egalement Serge de Diaghilev lui confia l’image de ses danseurs dont Serge Lifar et Anton Dolin, dont ce dernier deviendra par la suite chorégraphe et résident à Monaco.
Le temps passant se construisit une profonde, solide et durable amitié avec Anton, cet artiste hors du commun, au travers de réalisations et captations de diverses postures de danse. Un plaisir sans cesse renouvelé lors des nombreuses séances photographiques que j’ai partagé avec ces deux artistes.
Cette profonde amitié me permettra plus tard avec une bienveillance amicale d’acheter sa maison , « la Villa Ciel Bleu » en 1966 qui est ma résidence familiale avec vue sur le port.
Mais revenons en 1922. A cette époque j’avais 13 ans et je suivais mon père déjà partout pour apprendre ce métier qui me passionnait. Mon père n’a jamais hésité à me faire faire « l’école buissonnière » pour l’aider à porter ses appareils photos si lourds et encombrants. Dès mon jeune âge je le suivais partout dans ses reportages ou commandes. Je me demande encore comment il trouvait et imaginait les mots d’excuses au directeur de l’école pour justifier autant d’absences sur le blanc de la classe !
J’ai participé comme apprenti privilégié aux nombreuses réalisations photographiques de S.A.S. Albert I, S.A.S. Louis II, toutes les personnalités, vedettes de l’époque avec leurs robes sulfureuses et costumes de grands couturiers enrobés de parfums de luxes persistant même après leur départ de l’atelier. Sacré parcours et que de rencontres, etc.
En 1926, l’artiste peintre, le portraitiste breton Tartoné, rendit visite à mon père et lui demanda si il n’était pas vendeur de son fond. Mon père sans hésitation accepta la proposition financière très attrayante ainsi que en complément de la transaction l’acquisition de trois grands portraits de « Sainte Thérèse de Lisieux ».
Extrait : Mémoires de Georges Detaille fils